Il pleuvait dru ce soir-là, l'eau ruisselant sur les trottoirs cabossés et fissurés, pénétrant entre leurs interstices, dévalant la pente dans un doux bruissement discret pour se déverser dans les méandres des égouts. Le sol était couvert de ce miroir naturel et la ville lumière apparaissait comme un mirage troublé à sa surface. Il était tard et pas un chat n'arpentait les rues de la Nouvelle-Orléans. Seul le silence accompagnait la silhouette assise sur ce lit froid et humide, présence fantomatique dans ce sombre paysage mal éclairé. Elle était immobile, les bras durement serrés autour de ses jambes elles-même repliées contre sa poitrine. Son regard reflétait une telle tristesse que le monde semblait pleurer avec elle. Elle observait la seule fenêtre illuminée de l'établissement en face d'elle, dont les silhouettes qui dansaient derrière les rideaux tirés ne lui laissaient sur la bouche qu'un arrière-goût de nostalgie. Ses lèvres tremblaient, ses bras enserraient ses genoux avec plus de force et ses pieds ne tenaient plus en place. Son esprit lui hurlait d'entrer, la suppliait de ne serait-ce toquer à cette porte autour de laquelle flottaient autant de beaux souvenirs. Pourtant, elle s'y refusait. Elle avait peur. Peur de soudainement les attaquer, de ne plus pouvoir se contrôler. Peur de ne pouvoir s'arrêter... Elle ressassait dans ses cauchemars toutes les scènes qui risquaient d'arriver si elle osait un jour franchir à nouveau le pas de cette porte. Jamais elle n'y avait remis les pieds... Pas depuis sa mort. Elle avait pris soin de s'éloigner de la petite supérette qui l'avait vu grandir et de ce petit appartement qui l'avait même vu naître. Elle s'était éloignée, mais ne pouvait s'empêcher d'y revenir. Observer de loin ses parents continuer leur vie sans savoir ce que pouvait bien subir leur fille, sans connaître les dangers qui rodaient dans la ville qui les avait accueillis...c'était à la fois un malheur et une bénédiction. Elle n'avait qu'une envie, se réfugier dans les bras de sa mère pour y trouver le réconfort et la sécurité de ses jeunes années...

Des larmes coulèrent le long de ses joues, se mélangeant aux gouttes de pluie qui s'écrasaient sur son visage. Akiho regarda une dernière fois les silhouettes qui se mouvaient toujours derrière les rideaux avant d'enfin se décider à se relever. Trempée de la tête au pied, elle resta pourtant immobile encore plusieurs longues secondes, ses yeux toujours rivés à cette fenêtre, ses jambes refusant de faire le moindre mouvement. Elle pensait ses idées claires, son esprit en paix avec sa décision, mais son corps refusait de partir. Elle maudit sa faiblesse, maudit son impuissance et maudit le responsable de sa condition. Ses sourcils se froncèrent et ses lèvres se pincèrent, ses crocs – sortis sans qu'elle ne l'ait même décidé – s'y plantant sans vergogne. Une vive douleur éclata alors et la jeune femme porta une main tremblante à sa bouche, grimaçante, du sang y dégoulinant abondamment. Avant que le mal ne disparaisse comme il était venu. Ses canines, elles, étaient toujours fièrement sorties, comme deux pointes trop grandes pour qu'elle puisse les cacher. Akiho paniqua.

Ce fut ce déclic qui fit de nouveau bouger son corps, ses jambes cette fois-ci, dévalant les trottoirs à une vitesse fulgurante. Surhumaine. En moins d'une seconde, elle était déjà à l'autre bout du quartier, se prenant de plein fouet le mur d'une battisse qu'elle n'avait pas vu arriver. Son dos s'écrasa sur le sol humide et sa tête percuta avec violence sa surface, des étoiles apparaissant soudainement devant ses yeux. Son regard se perdit dans la noirceur du ciel au-dessus d'elle et le silence pesa sournoisement sur elle, comme une menace étouffante. Elle se sentait effroyablement seule...

Sa gorge se noua subitement et un sanglot s'échappa d'entre ses lèvres, déchirant. Une plainte agonisante. Elle n'en pouvait plus. La solitude la tiraillait, la peur lui tordait les boyaux et la faim lui nouait les tripes. Elle ne savait rien, ne contrôlait plus sa vie et tout partait en vrille. Elle était las, allongée de tout son long sur le sol crasseux de Freret Street et n'avait que la faim pour seule compagnie. Cette faim qui la hantait tous les jours, à tout moment, sans qu'elle ne puisse la prévoir. Pendant un instant, elle pensa rester là, le visage tourné vers cette immensité noire, attendant son heure arriver, les yeux fermés. Combien de temps pouvait mettre un jeune vampire avant de finalement s'éteindre, affamé ? Le soleil lui offrirait-il une mort rapide ? Est-ce qu'elle supporterait la douleur ? Ses parents s'en rendraient-ils compte ? La pleureront-ils ?

Elle rouvrit ses paupières, clignant au rythme de la pluie battant son visage, avant de longuement soupirer, désespérée. Elle ne pouvait pas faire ça. Elle n'était pas assez forte pour franchir le pas... Trop lâche, trop faible, peut importait. Elle n'y arriverait pas. Alors, lentement, elle se releva, la douleur dans son corps ayant complètement disparue – si seulement la faim pouvait en faire autant... Elle agrippa maladroitement son sac avant d'en sortir l'une des poches de sang qu'elle avait pu voler à l'hôpital du coin et d'y planter avidement ses crocs. L'hémoglobine dégoulina sur son menton, s'engouffra dans sa gorge et lui laissa un goût de trop peu sur la langue. Si ces poches lui permettaient de survivre lorsqu'elle pouvait encore se contrôler, elles n'étaient pas envisageables sur le long terme... Pas assez nourrissantes. Elle l'avait apprit à ses dépends.
Mais pour ce soir, cela suffirait largement. Elle s'en persuadait du moins.

Elle rangea rapidement la poche vide dans son sac avant de se remettre debout, sa tête tournant légèrement après avoir bu trop rapidement. Elle longeait désormais les murs froids du quartier, désireuse de rentrer enfin chez elle pour se terrer sous les couvertures, là où elle ne pourra faire de mal à personne.

Akiho retint un hurlement de franchir ses lèvres lorsque tout à coup, une femme aux cheveux cendrés atterrit à quelques mètres d'elle, comme si elle venait de sauter du toit. Une main sur la bouche et le dos plaquée contre le mur derrière elle, la brune regardait incrédule l'inconnue, ses sourcils haussés à tel point qu'ils disparaissaient sous sa frange. La voix de la jeune femme résonna avec force et la fit sursauter, avant que ses paroles ne la fassent déglutir violemment.
« ...Je vous demande pardon ? » souffla la japonaise avec difficulté, la vérité prononcée à haute et intelligible voix lui assénant un puissant coup dans l'estomac.
« Je...je ne vois pas de quoi vous voulez parler... » continua-t-elle tout en reculant fébrilement, souhaitant s'éloigner le plus possible de l'inconnue.

Akiho, dans son ignorance pure et dure du monde surnaturel, et dans sa peur constante d'être démasquée puis arrêtée, ne fit pas le rapprochement. Elle était plus perturbée par le fait qu'une personne qui lui était étrangère connaissait son secret, que par celui que celle qui se trouvait devant elle venait tout juste de sauter du toit du bâtiment juste derrière... Et que cette dernière qui se tenait fièrement devant elle, n'était autre qu'un vampire.

Son corps tremblait sans qu'elle ne puisse le contrôler, ses mains accrochées désespérément à ses bras, croisés contre sa poitrine. Était-ce la peur qui la faisait frissonner ou bien la faim qui ne cessait de la tirailler malgré la poche de sang qu'elle venait à peine de vider ? Elle l'ignorait. La seule chose dont elle avait conscience, c'était son corps qui refusait de bouger, ses jambes, comme plantées dans ce sol de béton, restaient immobiles malgré son envie folle de fuir aussi loin qu'elle le pouvait. Akiho était désemparée. Jamais —depuis sa mort — elle n'avait entendu quelqu'un prononcer le mot vampire avec autant de sérieux qu'il était possible d'avoir en le faisant. Il était déjà rare que ce terme soit employé dans le quotidien, et voilà qu'elle rencontrait une femme qui semblait vraiment comprendre ce qu'il signifiait réellement... La dure vérité derrière les fictions qu'elle avait eu l'occasion d'entendre étant humaine. Pourtant, malgré ce pas immense qu'elle venait de faire dans ce monde dont elle ignorait toutes les règles, et cet élan d'espoir qu'elle commençait à ressentir, elle n'en resta pas moins méfiante pour autant. La peur de l'inconnu supplantait cette irrésistible envie d'en apprendre plus sur sa condition : Akiho était loin d'être naïve et n'accordait que rarement sa confiance, surtout à ceux qu'elle ne connaissait pas. Et cette femme — dont l'apparition, aussi clichée qu'inutile, n'avait fait qu'aggraver l'avis qu'elle s'était faite par la suite sur sa personne — ne la rassurait pas.

Elle l'écoutait débiter des paroles qu'elle ne comprenait qu'à moitié. Avait-elle dit...shadow...hunter ? Réfléchissait-elle avant d'entamer son discours ou bien improvisait-elle au fur et à mesure ? Un sourcil haussé en guise de scepticisme et l’œil figé sur le visage de son interlocutrice afin d'y déceler la moindre once de moquerie à sa surface, Akiho restait silencieuse. Elle attendait presque qu'un cameraman ne sorte de l'obscurité de la ruelle pour lui annoncer que tout ça n'était finalement qu'une caméra-cachée... Bien sûr, personne ne sortit de l'ombre et la japonaise devait bien avouer que le sérieux dont faisait preuve l'inconnue lui faisait froid dans le dos. Et elle savait qu'elle avait raison. A défaut de comprendre ce terme étrange..."shadowhunter"... le reste de sa tirade ne lui était pas incompréhensible. Elle risquait la mort — la vraie, cette fois-ci — si elle continuait sur cette voie. Peut-être était-ce justement ce dont elle avait besoin...

La brunette tiqua sur la première phrase prononcée. Elle manqua lâcher un rire nerveux en apprenant la nouvelle. Quelqu'un aurait dû s'occuper d'elle ? Lui apprendre les ficelles du métier ? Le responsable de son malheur aurait dû être son tuteur ? Quelle bonne blague. Cela faisait maintenant un an... Une année entière à galérer seule, à souffrir le martyr à chaque fois que sa faim lui rappelait à quel point elle avait changé. Un an qu'elle n'avait pas vu ses propres parents, mis à part derrière un écran. Un an qu'elle foulait les mêmes trottoirs qu'eux sans jamais pouvoir les croiser. Un an qu'elle tuait des innocents sans espérer pouvoir se contrôler. Et elle apprenait aujourd'hui que si son "créateur" avait dénié ramener ses fesses sur sa tombe, elle n'aurait pas eut à souffrir autant ?
« C'est une blague... » siffla-t-elle entre ses dents, passant sa main sur son visage fatigué.

C'était comme si quelqu'un lui avait drainé toutes ses forces d'un seul coup. Akiho sentit la fatigue et fut heureuse que le mur derrière elle soit là pour l'empêcher de tomber. Ses jambes — elle le savait — ne la tiendraient pas debout bien longtemps... La colère qu'elle emmagasinait au fond d'elle à l'encontre de l'homme qui lui avait infligé ça, grondait comme un volcan prêt à exploser. Il aurait dû être là. Avec elle... Lui expliquer ses raisons et lui montrer comment s'en sortir, maintenant qu'elle était un vampire. Au lieu de ça, il l'avait laissé se démerder... Il n'avait pas même été foutu d'assumer sa décision. Akiho avait été plongée malgré elle dans ce monde horrible et terrifiant sans savoir pourquoi...
« Quels bons côtés ? » lâcha-t-elle après un long silence, ses yeux se plantant sur la main tendue de l'inconnue, un petit rire nerveux s'échappant d'entre ses lèvres. « Je ne vois rien de bien à être un... un monstre ! Obligée de boire du sang humain pour survivre et brûlant face au soleil... Je n'entends même plus les battements de mon cœur, merde ! »

Sa voix se brisa en terminant sa plainte... Elle était à bout, et elle avait faim. Elle sentit avec horreur ses canines sortir et effleurer sa lèvre inférieure et instinctivement, elle porta une main à sa bouche. Elle n'en pouvait plus. Elle avait l'impression de vivre sa vie au travers d'un voile... Qu'elle n'était pas au commande de son propre corps. Akiho ne maîtrisait absolument rien et ça la frustrait au possible.
« Et puis... » continua-t-elle, posant cette fois-ci son regard dans celui de la jeune femme, sa main venant s'évanouir sur son côté, libérant sa bouche qu'elle avait abandonnée vouloir cacher. « Excusez-moi, mais en quoi ça vous regarde ? Un an que je me trimbale les canines à l'air en me jetant sur la moindre personne qui passe à moins d'un mètre de moi. Un an que j'ai pas vu ma famille ! Et vous, vous arrivez là, comme une fleur et me proposez...quoi exactement ? De m'entraîner ? M'apprendre à...m'amuser ? » Elle cracha cette dernière phrase comme s'il s'agissait d'un quelconque poison. Elle n'en revenait pas d'entendre de telles paroles sortir de la bouche d'un autre vampire. Celle aux cheveux cendrés devait bien avoir vécu la même chose qu'elle, non ? Alors pourquoi semblait-elle apprécier ça ?
« Qu'est-ce que ça peut bien vous apporter, à vous ? Vous l'avez dit vous même, ça n'est pas dans vos habitudes de faire ça... Et je ne vous ai rien demandé. » Certes, la vampire voulait en savoir plus et ses réponses semblaient être juste à portée de main — jamais elle n'avait rencontrée de créature similaire auparavant après tout — mais elle restait sur ses gardes. Celui qui l'avait transformé l'avait lâchement abandonné, livrée à elle-même dans un monde dangereux. Elle ignorait combien de vampires existaient, et combien vivaient à la Nouvelle-Orléans. Ils étaient au moins trois, à ce qu'elle savait...en se comptant parmi eux. Et l'un d'eux l'avait tué... Autant dire qu'elle se méfierait de tous les vampires qu'elle croiserait. A commencer par celui qu'elle avait en face d'elle.

Elle écoutait l'inconnue établir sa liste des avantages à être un vampire, sûre d'elle et avec sur le visage cette expression qui donnait l'impression que tout cela était évident. Akiho ne pouvait nier l'authenticité de ses propos : tout ce que lui avait cité celle aux cheveux cendrés, elle l'avait découvert par elle-même — plus par inadvertance et maladresse que par réelle volonté. Le bruit ambiant était devenu son pire ennemi, incapable de filtrer tous les sons que ses oreilles pouvaient capter. Elle voyait tout. Trop de choses à la fois qui lui faisaient tourner la tête. Et sa vitesse ? Pas besoin de mots pour la décrire, les murs contre lesquels elle se cognait lui donnait une infime idée de son ampleur. Elle devait bien l'admettre cependant — à l'entendre souligner tous ces points loin d'être négatifs — que le tableau n'était pas aussi noir qu'elle l'avait imaginé... Pour autant, le prix à payer était bien trop lourd pour elle. Elle n'avait jamais rien demandé. Elle n'avait pas voulu cette transformation, ces pouvoirs... Si elle avait pu choisir, à l'époque...si celui qui avait scellé son sort lui avait expliqué les choses avant de la mordre et lui avait donné l'opportunité de prendre son destin en main par ses propres moyens, elle n'aurait sans doute pas accepté. Boire le sang d'innocents en échange de pouvoirs qu'elle n'avait de toute façon pas besoin ? Très peu pour elle. Mais elle était là. Affamée et complètement soumises à ses capacités. "Tu peux être tout ce que tu veux." Elle savait ce qu'elle voulait être. Malheureusement, elle n'avait pas le pouvoir de revenir en arrière...

Akiho dévisagea la jeune femme en face d'elle, nourrissant son esprit d'autres choses que par cette envie de sang qu'elle commençait à ressentir de nouveau. Elle semblait jeune, peut-être aussi âgée qu'elle ne l'était elle-même. Pour autant, elle lui disait que cela faisait maintenant vingt ans qu'elle avait été transformée. Vingt ans, et toujours le même visage... Aucun changement, aucune évolution. Les vampires ne vieillissaient pas. Une jeunesse tristement éternelle... Ses propres parents finiront bien par remarquer que quelque chose n'allait pas chez elle — s'ils ne se posaient pas la question avant. Que leur dira-t-elle à ce moment-là ? Qu'elle était morte sans qu'ils n'aient remarqué quoi que ce soit et que depuis, elle se nourrissait du sang d'innocents pour que son corps ne tombe pas en lambeaux ? Que depuis, elle était seule et complètement perdue parce qu'elle ne savait rien sur sa condition et que celui qui lui avait infligé toutes ses douleurs et qui était censée lui apprendre les ficelles l'avait tout simplement délaissée ? Que tout ce qu'elle était devenue était la raison de son éloignement envers eux ? Elle ne pouvait l'imaginer... Elle n'était pas prête, ne voulait pas les impliquer. Elle avait perdue espoir de les revoir un jour en personne.

Une lueur s'alluma cependant dans son regard face aux paroles de l'inconnue. Elle savait qu'elle ne devait pas espérer, que ce n'était que des paroles lancées pour la faire se décider. Elle avait toujours ce sentiment de méfiance envers elle, cette impression de danger quand elle la regardait. Mais la brune ne pouvait lutter. Elle avait été très proches de ses parents avant toute cette histoire, et s'éloigner d'eux avait été insupportable. Ça l'était toujours, elle ne pouvait s'y habituer...
Son regard était plongé dans celui de son homologue, l'étudiant de fond en comble. La proposition que cette dernière lui offrait, elle l'avait attendue une année entière. Un an qu'elle attendait des réponses, et voilà qu'elles s'amenaient d'elles-mêmes dans son assiette... Pourtant, la japonaise avait l'impression que c'était un piège qu'on lui tendait, qu'il y avait quelque chose derrière cette proposition qu'elle n'arrivait pas à identifier. Et son côté réaliste reprenait le dessus : qui pouvait se maîtriser face à une telle soif de toute façon ? Était-ce seulement possible ? L'effort semblait insurmontable, la réussite inatteignable. Ce que lui offrait celle aux cheveux cendrés...était-ce seulement réalisable ? Ou bien ne lui vendait-elle que du rêve ? La nouvelle-née ne se voyait pas se contrôler... Une fois que ses lèvres avaient goûté l'hémoglobine, elle ne pouvait s'arrêter. Comment le pourrait-elle ? Dans ces moments-là, c'était comme si quelqu'un d'autre prenait les rênes de son corps et que son esprit était repoussé dans les tréfonds de son être, condamné à observer la vie s'échapper de sa victime.

Akiho était tiraillée... Trop de questions se bousculaient dans sa tête, si bien qu'un long moment passa sans qu'elle ne prononce un seul mot. Les paroles de l'inconnue étaient loin de la rassurer, ou même de la convaincre. Elle parlait de créer un nouveau-né avec une telle désinvolture...sous prétexte que l'immortalité était bien trop longue à vivre seule ? Ses sourcils se froncèrent tandis que des réminiscences de son accident refaisaient brièvement surface. Ses mains allèrent s'accrocher autour de ses bras tremblants, à la recherche de protection.
« Trop aimable... » s'entendit-elle souffler après qu'elle lui ait proposé son aide.

Comment pouvait-elle être aussi froide ? Créer un nouveau-né — d'après ce qu'elle avait compris seule — cela voulait dire tuer un être humain. L'arracher à sa vie, à ses proches... Détruire tout ce qu'il avait été pour le transformer en monstre assoiffé de sang. Akiho ne le souhaitait à personne, elle qui l'avait vécu tout récemment. Ses souvenirs étaient encore vifs dans son esprit : elle en faisait encore des cauchemars. Pourtant, l'inconnue en parlait comme si elle ne l'avait jamais subi. Comme si elle ne se souvenait pas de ce moment où son cœur avait cessé de battre dans sa poitrine. De cet instant terrifiant où elle avait dû se sortir de sa propre tombe. Akiho la dévisageait d'un air grave, presque déçu : tous les vampires étaient-ils tous comme elle ? Complètement impassibles et aussi peu concernés pas la vie humaine ?

Elle regardait le vampire s'écarter du chemin, l'invitant d'un geste de la main à s'en aller. Comme un dernier ultimatum qu'elle lui posait. Une fois encore, la japonaise fronça les sourcils. Elle n'avait pas l'impression d'avoir le choix. Et elle n'aimait pas ça : l'entendre insinuer qu'elle ne survivrait pas un instant seule dans ce monde sans son aide la frustrait. Elle était débrouillarde, observatrice et têtue. La brune savait qu'elle saurait survivre pendant un temps... Mais elle était également réaliste. Et elle devait bien admettre que la situation la dépassait...

Elle hésita un long moment. Le vampire en face d'elle ne lui inspirait pas confiance. Pour autant, pouvait-elle réellement risquer le refus et ne pas trouver d'autres vampires plus fiables par la suite ? Elle avait besoin d'aide...même si elle avait du mal à l'admettre.
« Qu'on soit bien claires vous et moi... commença-t-elle à dire, ses tremblements ayant désormais cessés, Je ne vous fais pas confiance... »
Elle croisa ses bras contre sa poitrine, restant immobile à sa place afin de lui montrer qu'elle avait pris sa décision.
« Je ne crois pas que vos intentions soient aussi belles que vous le prétendez, mais admettons. Je joue le jeu... »
Elle se rappela ses paroles et sa promesse de pouvoir revoir sa famille, même durant un temps. La brune se raccrocha à leur souvenir et s'imprégna de toute la joie qu'elle avait ressentit durant ces beaux jours et à cette terrible envie qu'elle avait de vouloir les retrouver.
« Vous m'avez proposé votre aide, je compte bien en profiter. »